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À première vue, Le Progrès ne semble pas fournir
beaucoup d’information sur la langue parlée du Détroit. Il va sans dire que les
frères Pacaud, avec leur éducation classique, maîtrisent bien le français et
qu’en général Le Progrès s’en tient à un très haut niveau de langue. Le
journal se donne comme mandat d’améliorer le français de ses lecteurs et, en
conséquence, la plupart des articles et éditoriaux qui y paraissent sont écrits
dans un style littéraire bien loin du parler populaire utilisé par les gens
ordinaires. Le français du Détroit est pourtant une langue vivante et fort
intéressante, ayant survécu presque deux cents ans avant l’arrivée du Progrès
; grâce à son isolement par rapport aux autres centres francophones de
l’Amérique du Nord, le parler régional a évolué de façon tout à fait
particulière, conservant de nombreux éléments du français du 18e siècle, tout en
reflétant les pressions occasionnées par son contact constant avec l’anglais, la
langue du commerce et de l’administration.
Deux domaines en particulier nous laissent voir un peu de couleur locale : le
commerce et la politique. D’abord les annonces publicitaires incluent souvent
des mots et des termes qui s’éloignent des normes linguistiques de l’époque. Il
est évident que ces annonces sont souvent composées ou traduites par les
personnes locales, sans doute des employés des commerces en question. Par
exemple, une annonce du magasin de vêtements Peck comprend plusieurs termes
toujours familiers aux locuteurs d’aujourd’hui comme piastres (dollars)
et hardes (vêtements), et aussi aucun employé au sens positif,
comme le mot était utilisé à l’époque de Molière . On retrouve des
vêtements tels que des capots (manteaux), des corps (chemises ou
blouses) et des claques (caoutchoucs) dans d’autres magasins de l’époque ,
,
. Les prix du marché sont une autre bonne source
de mots régionaux; par exemple, un rapport qui paraît dans le Courrier
donne les prix, entre autres, des raves (radis), des rabioles
(navets) et de la salade (laitue) ; les produits du marché
se vendent d’ailleurs au quart (petit baril) et au minot
(boisseau) . On annonce l’ouverture d’une nouvelle grosserie
(épicerie), ce qui est sans doute un anglicisme, bien que le mot ait existé au
17e et 18e siècle au sens de “commerce en gros” .
L’influence anglaise est claire, cependant, lorsqu’on traduit mot à mot des
slogans publicitaires . L’origine d’un des anglicismes bien connus de la
région est révélée dans Le Courrier, un des concurrents du Progrès ; pour sa part, Le Progrès se moque de l’anglicisation des
noms français de la région .
Le Progrès offre parfois quelques commentaires direct sur le parler
régional, la plupart moqueurs ou railleurs. Par exemple, sous le titre d’une
nouvelle chronique jamais répétée, Le Progrès présente une espèce
d’anti-dictionnaire proscrivant le bon usage en faveur de la norme locale .
La chroniqueuse Adrienne se moque occasionnellement de ses co-citoyens à la Rivière-aux-Canards , nous renseignant, malgré tout, sur la
prononciation populaire de plusieurs termes employés dans la région. Mais la
meilleure source de parler régional jaillit lorsque Le Progrès veut se
moquer de ses ennemis politiques. Ces pièces comiques prennent la forme de
dialogues entre deux ou trois personnages (le plus souvent des conservateurs)
que Le Progrès insère dans une situation fâcheuse ou ridicule, les
faisant parler comme des gens de la place, exagérant les particularités du
parler régional afin de les faire paraître comme des rustres mal instruits. Si
nous laissons de côté les jugements de valeur implicites dans ces pièces, ces
petits dialogues sont de véritables mines d’or sur la façon dont les des gens
s’exprimaient à l’époque ,
,
,
.
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