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Aucune autre ville canadienne n’entretient des liens aussi serrés avec une ville
américaine que ceux qui existent entre Windsor et Détroit. Sous les régimes
français et anglais, les gens des deux côtés de la rivière se considéraient
comme membres d’une même communauté. Même après l’arrivée des Américains,
Détroit est simplement « l’autre bord » pour les habitants de Windsor. Bien que
les habitants des deux villes vivent sous deux drapeaux différents, ils
travaillent et célèbrent ensemble, supportent les mêmes commerces et industries
et partagent beaucoup des mêmes valeurs.
Le sujet des douanes sont une préoccupation perpétuelle pour les gens qui
habitent une ville frontalière comme Windsor. Une liste de tarifs
publiée par le journal nous donne une bonne idée de ce que les gens achètent à
Détroit à cette époque. Le Progrès, qui dans sa politique libérale est
décidément anti-protectionniste, ne manque jamais l’occasion de souligner les
excès commis par les douaniers
,
,
et la corruption des
fonctionnaires
. Encore mieux lorsque la victime du zèle officiel
est un des ennemis politiques du Progrès !
. N’empêche que
le journal peut s’avouer protectionniste lorsqu’il s’agit de ressources
naturelles importantes
,
.
Malgré tout, les gens de Windsor et environs se fient à l’engin économique de
Détroit pour assurer la vente de leurs produits
,
,
ainsi que l’achat d’articles fabriqués
,
,
,
,
.
Effectivement, Le Progrès, qui pendant plusieurs années imprime lui-même
ses journaux sur des presses américaines, publie autant d’annonces américaines
que canadiennes, comme on peut le voir dans une page de publicités datant de
1881
.
Mais ce ne sont pas seulement les liens économiques qui rattachent Windsor à
Détroit. La politique américaine intéresse vivement les gens de Windsor et, lors
des élections, Le Progrès appuie les candidats qui répondent mieux aux
attentes des Canadiens
. Les résidents de Windsor et Détroit
participent aux mêmes événements culturels et populaires, que ce soit une soirée
à l’opéra
, une journée au cirque
ou en excursion
sur la rivière
ou simplement une veillée chez des amis
.
Windsor et Détroit fêtent ensemble : lors des grandes célébrations du G.A.R
(Grand Army of the Republic) en 1891, les deux villes accueillent des milliers
de vétérans de la guerre civile américaine
.
Les lecteurs du Progrès s’intéressent aussi aux nouvelles de Détroit, y
poursuivant les désastres les plus épouvantables
ainsi que les
nouveautés les plus prodigieuses
. Avant tout, on s’intéresse au
crime à Détroit et, comme aujourd’hui, ce dossier est une source de titillation
constante pour les Windsorois. Le meurtre sensationnel du docteur Horace Pope
souligne les effets néfastes de la grande ville sur le jeune homme naïf et
innocent du bord canadien ; même à cette époque, Détroit fournit à l’imagination
morbide des Windsorois l’occasion de contempler à une distance sécuritaire le
visage sinistre de son alter ego criminel
,
,
. Parfois
l’élément criminel de Détroit déborde même du côté canadien de la rivière
.
Un incident extraordinaire illustre de façon remarquable les particularités de
la vie à la frontière. Un soir d’été, l’américain Luke Phipps abat sa femme à
coups de révolver à bord du traversier Hope. Il est arrêté et mis en
prison lorsqu’il débarque à Windsor. Mais Phipps a tué sa femme au milieu de la
rivière ; il est très important de savoir de quel côté de la frontière le crime
a été commis, car le Canada exerce la peine capitale à cette époque, et le
Michigan non. Une enquête détermine que le meurtre a effectivement eu lieu du
côté canadien et Phipps est condamné à mort. Mais avant d’être pendu il
s’échappe avec trois complices ; un gardien de prison est tué lors de
l’évasion. Plusieurs mois plus tard, on rattrape Phipps aux Illinois et on le
ramène à Sandwich, où il sera pendu le 17 juin 1884. Le drame fascine les gens
des deux bords du Détroit pendant presque un an ; malheureusement, les numéros
du Progrès qui couvrent le crime, l’évasion et la capture manquent à
notre collection et il faut se fier aux autres journaux de l’époque pour
raconter l’histoire au complet. Mais les numéros de la collection reprennent à
temps pour l’exécution et nous permettent de témoigner du vif intérêt que le cas
a suscité chez la population de Windsor
,
,
,
.
Il est impossible de soustraire Détroit au portrait de Windsor de la fin du 19e
siècle et de démêler tous les liens historiques, économiques, familiaux et
culturels qui joignent les deux villes. La situation est bien résumée dans une
lettre d’un visiteur français au rédacteur du Progrès ; lors d’une visite
à Windsor en 1886, le voyageur se demande s’il est vraiment au Canada ou aux
États-Unis
. Mais malgré tout, les deux villes sont définitivement
en voie de développer leur propres identités. Dans un éditorial publié dans
Le Courrier en 1908, on peut constater les différences entre l’idéologie
canadienne et américaine, différences qui peuvent paraître quelque peu ironiques
aujourd’hui !
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