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À côté de la culture populaire, il y a aussi une culture «
officielle » canadienne-française, développée et propagée tout au cours du 19e
siècle par l’élite politique et religieuse basée à Ottawa, Montréal et Québec.
Cette culture vise à « améliorer » le peuple et cherche à canaliser les
expressions culturelles dans des formes qui mettent en valeur la langue
française, la religion catholique et la vocation agricole. À son pire, cette
vision reflète le vue des ultramontanistes, qui relient les aspirations des
Canadiens français à la volonté de Dieu et qui rejettent les contacts avec tout
autre groupe religieux et linguistique. Ce mouvement a sans doute influencé la
philosophie d’Hyppolite Girardot, qui a occupé le poste de rédacteur-en-chef du
Progrès pour quelques mois en 1882, et qui expose ses idées dans une
lettre circulaire adressée au clergé de la région du Détroit . Il
publie aussi une lettre de son ami l’abbé Casgrain, qui fait un lien explicite
entre la langue française et la religion catholique . Après son
congédiement par les frères Pacaud, Girardot fondera Le Courrier d’Essex
afin de donner voix à ses idées et sa politique conservatrices et prendra comme
devise du journal « Rendre le peuple meilleur ».
Le Progrès, libéral dans sa politique et plus moderne dans son approche,
reflète toutefois les valeurs canadiennes-françaises officielles de l’époque et
se propose aussi d’améliorer le peuple et de le sauver de la culture anglophone
qui l’entoure, prenant comme sa propre devise « Mon Dieu, ma religion, ma patrie
». Le journal prône la Société Saint-Jean-Baptiste comme défenseur des droits
des Canadiens Français et accorde beaucoup de place aux activités de la Société.
Le grand événement de l’année est toujours le pique-nique de la
Saint-Jean-Baptiste, qui a lieu chaque 24 juin dans une des paroisses
canadiennes-françaises de la région. La journée comprend une messe solennelle,
un défilé avec un petit Saint Jean-Baptiste local en tête, suivi d’un
pique-nique au grand air avec toutes sortes de jeux et d’activités. La journée
se termine par un banquet qui se prolonge avec de nombreux discours prononcés
par des invités spéciaux et où on célèbre les grandes valeurs
canadiennes-françaises. On peut lire le compte-rendu de plusieurs de ces
événements dans les pages du Progrès ,
,
). La
Saint-Jean-Baptiste est encore célébrée à Détroit à cette époque .
Le Progrès nous a aussi laissé les paroles de l’hymne officiel de la Société Saint-Jean-Baptiste .
L’Union Canadienne est un autre organisme qui sert à rallier les Canadiens
Français autour de questions d’identité . Les francophones de
Détroit célèbre la fête nationale de la France, rappelant les liens à la mère
patrie . Même une fête religieuse comme la Fête-Dieu a des
implications nationalistes et patriotiques . D’autres groupes et
individus tentent d’édifier la population avec des productions artistiques de
qualité supérieure. Le Progrès fait beaucoup de publicité au compositeur
canadien-français Mazurette, qui est basé à Détroit ,
. On
annonce aussi la formation d’un cercle littéraire à Windsor et
aussi d’un club dramatique ,
. Le Progrès se plaint
aussi du fait que les Canadiens-Français de Windsor ne lisent pas assez et
qu’ils ne profitent pas des livres français à la bibliothèque municipale .
Certains accueillent cette tentative d’amélioration du peuple avec grand
enthousiasme et s’efforcent à leur façon à rehausser l’image des
Canadiens-Français du Détroit. Un cas particulier est parfois amusant est celui
d’ « Adrienne », correspondante régulière d’Anderdon (Rivière-aux-Canards) vers
le tournant du siècle. Elle cherche dans ses chroniques à élever le ton des
potins et commérages de sa communauté et d’en faire des récits exemplaires qui
mettent en valeur toutes les qualités idéales de la culture officielle ,
. Mais voilà que ce qui était inévitable arrive : un rival se
présente, dans une espèce de révolte contre le ton supérieur de la journaliste
en herbe ! « Charles » identifie d’abord « Adrienne », qui d’après lui se donne
des airs trop élevés sous le masque de l’anonymat . S’ensuit,
pendant plusieurs semaines - et sans doute au grand plaisir des lecteurs et des
éditeurs du Progrès - une bataille féroce entre les représentants de la
culture populaire et la culture officielle ,
, , .
Par sa politique éditorial, Le Progrès renforce l’idéologie officielle de
l’époque. Par exemple, l’importance du mariage est souligné à maintes reprises,
que ce soit dans des éditoriaux condamnant le divorce , dans des
pièces se moquant des vieux garçons et des vieilles filles
,
ou dans des articles offrant des conseils aux mariés ,
. On
supporte la tempérance (en principe sinon en pratique !) . Mais
avant tout, c’est en vivant la vie traditionnelle de ses ancêtres comme
laboureur que le Canadien Français est sensé trouver sa raison d’être et remplir
son destin. Malgré son nom, Le Progrès préconise ce point de vue,
publiant de nombreux articles à l’appui de cet idéal ,
,
.
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