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Le journalisme à la fin du 19e siècle était très différent de
ce que nous connaissons aujourd’hui. La plupart des journaux existaient pour
promouvoir une cause quelconque, le plus souvent un parti politique. Bien que
plusieurs journaux modernes soient toujours identifiés par leurs tendances
politiques, on prétend quand même une certaine objectivité. Cette dissimulation
n’était guère nécessaire à l’époque du Progrès . Les lois
sur la diffamation n’avaient d’ailleurs pas la force qu’ils ont aujourd’hui :
les frères Pacaud ne se contentaient pas de critiquer leurs ennemis politiques
mais montaient contre eux des attaques personnelles qui mettaient en question
leur caractère moral aussi bien que leurs vues politiques. Par exemple, lorsque
Jos Durocher, reeve de Sandwich-Ouest (et Conservateur bien connu) est accusé
d’avoir fraudé le conseil scolaire locale, il est cloué au pilori de semaine en
semaine pendant plus d’un an dans les pages du Progrès ,
,
,
. Le docteur Henri Casgrain,
un autre ennemi du parti libéral, doit aussi recevoir régulièrement ses coups de
bâtons : on semble surveiller toutes ses actions, tant celles qui relèvent de sa
vie personnelle que celles qui font partie de ses activités politiques ,
,
. Mais
lorsque les frères Pacaud attaquent sa réputation professionnelle ,
ils sont obligés d’afficher une rétraction la semaine suivante, la seule que
nous ayons pu trouver dans plus de trente ans de publication . Il
y a apparemment des limites à ce qu’on peut dire, même à cette époque.
Une façon d’éviter les accusations de diffamation est d’offusquer les détails ;
Le Progrès publie beaucoup de « nouvelles » qui ne sont que rumeurs,
potins et commérages. L’anonymat et les noms de plume permettent de dire des
choses qui étaient sans doute comprises par les lecteurs de l’époque. Mais pour
le lecteur d’aujourd’hui il n’est pas toujours possible d’identifier les
personnes impliquées ,
,
,
.
Une autre différence frappante entre les journaux d’hier et d’aujourd’hui est le
mélange de reportages réels et d’annonces publicitaires. Le lecteur du
dix-neuvième siècle doit souvent se méfier, car on n’éprouve aucun besoin
d’identifier les « articles » qui ont pour leur seul but la vente un produit
quelconque ,
,
,
. La distinction entre la science
et ce qu’on appellerait aujourd’hui « pseudo-science » semble également être
assez faible. D’après Le Progrès, les savants de l’époque auraient
calculé la population de l’enfer
et découvert la sentence prononcée contre Jésus .
Un couple célèbre son centième anniversaire de mariage
et il y a toujours une pluie de grenouilles quelque part .
Les lézards et les serpents menacent les gens continuellement ,
,
comme le font des épidémies mystérieuses qui ne semblent pas avoir laissé de
traces dans les annales de la médecine .
Une chose, cependant, n’a pas changé : les prévisions pour la fin du
dix-neuvième siècle ne s’avèrent pas plus justes que celles de la fin du
vingtième siècle .
Les reportages sur la médecine en particulier illustrent bien la période de
transition que chevauche Le Progrès. À côté d’histoires d’horreurs
médicales ,
on publie de véritables miracles scientifiques .
Il ne faut pas oublier non plus les annonces pour les pilules de toutes sortes,
qui s’adressent à tous les maux, des plus généraux aux plus spécifiques ,
, , , ,
.
Si d’après les critères de nos jours on peut accuser le Progrès de manque
d’objectivité, d’impartialité et de précision, on peut quand même dire qu’il
reflète avec justesse les normes journalistiques de son époque.
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