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Le Progrès n’est pas le seul journal francophone à
voir le jour à Windsor et environs à la fin du dix-neuvième siècle. En fait, une
douzaine de journaux ont concurrencé l’organe des frères Pacaud pour l’âme (et
les sous) de la population canadienne-française du Détroit. La plupart était
conservateurs, en opposition au libéralisme du Progrès. La plupart ont
aussi été plutôt éphémères, publiant rarement plus longtemps que quelques mois ;
certains n’auraient laissé aucune trace si ce n’était que des commentaires
moqueurs qui ont parus dans les pages du Progrès.
Le compétiteur le plus sérieux et, au départ, sûrement l’égal du Progrès,
est le journal conservateur Le Courrier d’Essex (qui deviendra plus tard
Le Courrier de l’Ouest). Le Courrier est lancé expressément pour
supplanter Le Progrès ; la devise de son premier numéro, « Le seul
journal canadien-français de Windsor » nous donne une bonne indice de la lutte
qui s’ensuivra, une lutte qui sera marquée par une profonde amertume. Il ne faut
pas oublier qu’au début, Le Progrès s'était lui-même déclaré
conservateur. C’était sans doute une ruse, car nous savons que les frères Pacaud
avaient été envoyés par Wilfrid Laurier pour établir un front libéral en
Ontario. En mars 1882, Le Progrès embauche comme rédacteur-en-chef
Hyppolite Girardot, qui fait partie de la clique des Conservateurs à Windsor.
S’agit-il d’une façon de pénétrer afin de mieux discréditer le parti
conservateur, où simplement une façon de mieux connaître son ennemi ? On ne
saurait dire, mais de toute façon, Girardot ne perd pas de temps à afficher ses
couleurs dans les pages du Progrès ,
.
Mais il ne dure que trois mois comme rédacteur ; bien qu’on donne comme cause de
congédiement son manque d’assiduité au travail , il est clair que les frères Pacaud jugent le temps propice pour afficher leur propre couleur (rouge). La
semaine suivante, Le Progrès se déclare journal libéral.
Le 8 août 1884, Girardot et sa « clique » lancent leur propre journal, Le
Courrier d’Essex .
On ne tarde pas à attaquer « l’autre journal » de la région . En
premier, ni un ni l’autre ne veut nommer son adversaire ; Le Progrès se
contente de publier une note concernant « le monsieur qui s’est chargé de fonder
un second journal français ». Mais bientôt on y va sans gants et les lecteurs
francophones de Windsor peuvent se régaler d’une lutte féroce, qui se déroule de
semaine en semaine dans les pages des deux journaux. Les injures, les
accusations, les calomnies se multiplient, autant sur le plan personnel que
politique. Le rédacteur-en-chef du Courrier d’Essex, A. Bodard, accuse les
frères Pacaud d’être francs-maçons et de publier des « saletés » dans leur
journal ; les Pacaud traitent Bodard
(qu’ils nomment toujours Le Bébé) d’imbécile et de traître . Si Le Progrès reçoit
l’appui du parti de Laurier, il est clair que Le Courrier est aussi
l’organe des Conservateurs de l’est : de plus en plus, le journal est imprimé
ailleurs, à l’exception de deux ou quatre pages d’encart imprimées par Bodard à
Windsor ; ces quelques pages deviennent de plus en plus obsédées avec la
malfaisance des frères Pacaud ,
.
Clairement, Bodard et ses partisans commencent à faiblir ; vers la fin, il ne
reste pratiquement aucune composante locale dans le journal. En juin 1885, le
journal change son nom au Courrier de l’Ouest ; celui-ci est essentiellement une
publication québécoise avec une ou deux pages locales à l’intérieur ,
. La guerre avec Le Progrès semble terminée. Les frères Pacaud,
victorieux, se permettent une certaine générosité envers leur adversaire .
Le ton est plutôt différent lorsqu’on annonce le décès officiel du Courrier de
l’Ouest en septembre 1886 .
Le Courrier d’Essex/de l’Ouest a quand même tenu tête au Progrès
plus longtemps et de façon plus flamboyante que tous ses autres compétiteurs.
Fortifiés par leur victoire, les frères Pacaud pourront désormais écarter avec
dédain toute autre opposition journalistique. Le Progrès mentionne la
brève existence du journal français de
Télésphore St-Pierre
à Détroit, Le Canadien . Ce dernier, un auteur québécois qui habite à Détroit,
est mieux connu pour son Histoire des Canadiens français du Michigan et du comté
d’Essex, Ontario (1895). Pas plus durables sont Le Réveil du docteur Casgrain ,
Le Drapeau National et un journal bilingue qui porte le nom de
Weekly Bulletin. Le distilleur Pat Bénéteau, membre de la clique
Casgrain/Odette/Girardot se lance aussi en journalisme avec L’Indépendant, qui
semble parfois paraître sous le nom The Independent. Les frères Pacaud y
réservent leur opprobre particulière ,
,
. En 1902,
plus de vingt ans après leur arrivée à Windsor, Gaspard et Aurèle publient la
liste de tous les journaux conservateurs qui ont tenté - sans succès - de
s’établir dans le Sud-Ouest ontarien. Le Progrès sait
également se défendre contre le journal anglophone de Windsor, The Windsor
Record, bien que celui-ci partage les couleurs libérales des frères Pacaud ,
.
En juillet 1908, F.-X. Chauvin lance un nouveau journal francophone, Le
Courrier .
Cette publication n’a rien à voir avec les Courriers précédents - en fait le
journal est carrément libéral ,
.
L’éditeur semble supporter les mêmes causes que Le Progrès
et professe son admiration pour Gaspard Pacaud . Le Courrier
s’efforce de publier beaucoup de nouvelles locales ,
,
et se proclame à son tour « le seul journal vraiment canadien-français de
l’Ouest Ontario » ,
. Au moins on peut dire que le journal
est véritablement dirigé par des gens natifs de la région.
Mais y a-t-il vraiment de la place pour deux journaux francophones à Windsor ?
Évidemment, non. F.-X. Chauvin quitte (ou est renvoyé de) son poste à la fin de
l’année et la direction est assumée par Paul Caty (rédacteur) et W.T. Jacques
(gérant). Le journal se déclare plutôt littéraire que politique .
Au début de 1909, Le Courrier se met à publier en anglais ,
puis en format bilingue . L’explication que donne la direction est
fort intéressante : Le Courrier est obligé d’inclure des textes anglais
afin de ne pas « remplir nos colonnes d’annonces et de clichés » comme le
Progrès (les frères Pacaud auraient annoncé que Le Courrier est mort,
événement qui vient à passer quelques semaines plus tard).
Notre propre collection du Progrès s’arrête en 1902, donc nous n’avons
pas accès aux deux côtés de l’échange avec Le Courrier. Il semble que les
frères Pacaud aient publié Le Progrès jusqu'à environ 1919. Nous ne savons pas
pourquoi et en quelles circonstances les frères ont cessé leurs opérations
journalistiques à Windsor. À cette époque (1912-1927), plusieurs autres journaux
francophones s’établissent à Windsor pour lutter contre le règlement 17 (entre
autres, Le Clairon et La Défense). En 1931, Gustave Lacasse fonde
La Feuille d’Érable à Tecumseh, hebdomadaire qui paraîtra jusqu’en 1958.
Depuis 1960, Le Rempart
est le journal hebdomadaire des francophones du Sud-Ouest ontarien.
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